La loi 21

L’avènement de la Loi 21

Il n’y a pas si longtemps, tous et chacun pouvaient proposer en toute légitimité un traitement psychothérapeutique à ceux qui souffraient de malaises psychiques. Il faut dire que le libertarisme hérité du Nouvel Âge n’était guère propice à l’étayage de la loi 21. Bien au contraire. C’était l’époque où l’expérience personnelle d’une toxicomanie affranchie se comparaît aux acquis d’un baccalauréat pour accéder à une fonction d’intervenant dans le champ des dépendances.

Libre-marché psychothérapeutique

Au cœur des années 80, l’abandon des paradigmes asilaires, lai désinstitutionnalisation et la montée du mouvement communautaire sculptaient de mains assurées les contours d’un libre marché psychothérapeutique. Faute de transfert de ressources, malgré l’exode de la psychiatrie et le déplacement de l’idéal thérapeutique vers la communauté, des organismes à but non lucratif s’organisaient avec les moyens du bord pour offrir des services à ceux qui venaient déposer leur souffrance in situ. Tandis que les uns souhaitaient des alternatives à la psychiatrie et que les autres – jadis sous couvert – adressaient énigmes et symptômes dans la collectivité, des citoyens s’improvisaient intervenants de première ligne. Animés d’humanisme, ils fondaient des refuges à l’angoisse, des activités d’entraide pour le partage du mal de vivre et des espaces de paroles où l’on pratiquait de bonne foi l’écoute active.

Stimulés par l’expérience du communautaire, de nombreux aidants naturels s’orientèrent vers une carrière de psychothérapeute sans emprunter le traditionnel parcours des psychologues. Rien d’illégitime pour notre société d’avant l’an 2000. Quoique la profession ait acquis de la reconnaissance au Québec avec la publication du premier Code de déontologie des psychologues en 1983, la pratique de la psychothérapie demeurait l’affaire de tous. D’une part, l’antipsychiatrie avait renforcé les rapports libres et volontaires entre la population et les dispensateurs de services cliniques. D’autre part, en érigeant en totem l’expression du vécu, une étrange dérive de la psychanalyse en Amérique du Nord avait fini par engendrer le mythe d’un traitement psychothérapeutique d’une étonnante simplicité. Ainsi, il suffisait que le vécu soit exprimé pour garantir l’issue de la problématique. On imaginait de là une fonction de psychothérapeute qui n’avait paradoxalement rien de sorcier. L’intervenant n’avait qu’à manier des techniques d’écoute active pour que les sujets voient leur vécu se transformer par une élémentaire équation de bouche à oreille.

Un changement de cap

Le nouveau millénaire réintroduit en force le débat sur le partage des compétences entre les institutions du réseau de la santé et des services sociaux et les alternatives communautaires ou privées. De fait, plusieurs acteurs auront œuvré à ce que soit socialement reformulée la question de la légitimité du dispensateur de services de santé mentale. À ce titre, bien sûr, l’Ordre des psychologues, mais parallèlement, l’Association d’intervention des groupes en défense de droits en santé mentale au Québec[1]. En principale intéressée, l’AGIDD-SMQ aura tenu un rôle clef pour orienter le législateur vers les prémisses du projet de loi 21. Témoins directs des écueils de services de santé mentale sans gouvernail et principales victimes des dérapages psychothérapeutiques, des milliers d’usagers auront pris d’assaut toutes les plates-formes politiques pour dénoncer des traitements abusifs et revendiquer leurs droits fondamentaux. C’est ainsi qu’en manifestant pour le droit au respect de l’intégrité physique et psychologique des personnes vivant ou ayant vécu un problème de santé mentale, l’AGIDD-SMQ aura par ricochet remis en question le libre-marché psychothérapeutique et l’absence de structure offrant systématiquement des recours contre les pratiques préjudiciables.

La société a donc été appelée à reconsidérer le bien-fondé des rapports entièrement libres et volontaires entre clientèles vulnérables et dispensateurs de services psychothérapeutiques. D’autant que le message de l’AGIDD-SMQ était soutenu par d’autres voix, dont celle des médias de plus en plus sollicitée pour dénoncer publiquement les effets morbides de certaines pratiques psychothérapeutiques sans filet. En audience, l’ensemble aura suffisamment fait pression sur la dénégation pour inciter l’émergence d’une conception de la morale au profit de ceux qui avaient véritablement besoin d’assistance.

Le devoir de protection du public est redevenu le centre des préoccupations en matière de services de santé mentale. La reformulation de la légitimité de pratique psychothérapeutique en termes légaux depuis le 21 juin dernier en découle. L’unique réserve du titre de psychologue – trop souvent confondu avec le titre de psychothérapeute – n’était pas une assurance de compétence à qui allait confier son vécu en psychothérapie. D’ailleurs, ce n’était pas tant le titre du dispensateur de service qui posait un problème de droit fondamental à la société et un problème de recours à l’AGIDD-SMQ, c’était l’exercice tous azimuts de la psychothérapie.

Au nom de la liberté individuelle, on ne pouvait continuer à ignorer les lacunes du système de la santé au niveau de la protection du public. En traçant des frontières légales à la légitimité d’exercice dans le champ de la psychothérapie, le législateur a généré de nouvelles conditions d’éthique dans les relations humaines. En effet, l’encadrement légal devient ici un référent supplémentaire à la réflexion avant que des gestes cliniques soient posés à l’égard d’une personne vulnérable. Malgré que l’expérience personnelle des intervenants puisse continuer à être valorisée à l’exemple d’une psychanalyse, un questionnement sur l’objectivité des compétences et sur l’ensemble des curriculum vitae vient d’être prescrit. Pour être légitime, l’offre psychothérapeutique devra s’inscrire dans la légalité. Ce qui était moralement justifié au XXe siècle ne l’est plus. La parole des personnes vivant ou ayant vécu un problème de santé mentale a été entendue.

© Cet éditorial a été rédigé par votre psychologue, Eugénelle Fortin, M.Ps.

[1]AGIDD-SMQ : www.agidd.org

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